Trois questions à Denis Podalydès, mise en scène

Œuvre « la plus puissante » de Hugo pour George Sand, « Lucrèce Borgia », image d’un « théâtre de la cruauté » tel que l’entend Antonin Artaud, représente pour son auteur Victor Hugo une victoire sur le pouvoir et la censure.

Qu'évoque cette pièce pour Denis Podalydès ?
Le spectacle qu'il crée Salle Richelieu en mai 2014, dans une scénographie d'Éric Ruf et des costumes de Christian Lacroix, est repris aujourd'hui.

Partant du parallèle fait par Hugo entre Le roi s'amuse et Lucrèce Borgia, comment la question des contrastes est-elle abordée dans ce travail ? Lucrèce serait-elle une pièce moins dérangeante politiquement ?

Lucrèce fit un triomphe et Le roi s’amuse fut interdit. Le choix de l’Italie, des Borgia, permettait à la fois de contourner la censure et de réveiller un mythe très apprécié, garantissant mystère, poison et intrigue amoureuse. Il y a donc un souci d’efficacité chez Hugo. Mais la pièce n’est pas moins dérangeante. La question de l’inceste est au centre, comme un soleil noir. La beauté de Gennaro, son héroïsme, sont fruits de l’inceste. Et pour Lucrèce, fille de pape, engrossée par l’un de ses frères, violée par un autre, la pureté qu’elle dit originelle contraste avec l’ignominie du présent. Le théâtre de Hugo est fondé de part en part sur des contradictions savamment maintenues en tension. Seul le rideau en fin de pièce y met un terme. Le drame ne se définit que par l’alternance du grotesque et du sublime. Le drame n’indique pas un contenu mais une forme contradictoire, oscillant d’une polarité à l’autre. Cette loi fondamentale du drame, c’est bien dans Shakespeare, Dante, Homère et Rabelais que Hugo l’a prise. C’est pour Hugo la loi même du vivant, loi qu’on ne cesse d’ignorer, d’insulter, au nom de la bienséance et de la haine du bas, du peuple, de l’être libre. La mise en scène doit faire en sorte que ces contrastes s’affirment avec le plus de netteté et d’énergie possibles.

La question de l'exagération, de l'invraisemblance traverse les drames hugoliens. C’est à cet endroit que se trouve, pour vous, la modernité de Lucrèce Borgia aujourd'hui ?

Sa modernité est dans ce qu’elle demande à tous ceux qui s’y confrontent. Nous ne sommes plus habitués à une telle ampleur du sentiment, du geste et de la parole, à une rhétorique aussi rythmée, affirmée, qui n’a peur d’aucun excès, d’aucune exagération. La pièce la réclame, l’exige.
On peut passer du ridicule au sublime en un instant. Et on est souvent ridicule de ne pas oser, de s’en tenir à une psychologie mélodramatique, comme on est sublime d’y aller, de monter en régime, de s’abandonner à ces grandes périodes verbales qu’il faut mener à leur terme, et non nuancer, découper, colorer, pour les rendre acceptables, vraisemblables. Il faut beaucoup de maîtrise et beaucoup d’abandon, beaucoup réfléchir et beaucoup vibrer pour atteindre au vrai lyrisme, au chant profond. Encore les contrastes.

Lucrèce Borgia est-elle une pièce sur la fatalité du destin ?

Le mot « fatalité » revient plusieurs fois dans la pièce. Il faut le prendre très au sérieux. C’est le fatum des anciens, la tragédie antique. Le sommeil de Gennaro, qui ne veut pas entendre les histoires de Jeppo, donne à penser qu’on assiste à son rêve. C’est une image et un thème magnifiques que ce sommeil de Gennaro, que seul réveille le baiser maternel. Il serait beau que sa signification poétique et tragique puisse affleurer. Il dort, les autres parlent – et parlent de lui en fait –, il n’en sait rien, il est au centre d’un vide, il n’est peut-être pas né. À la fin, il parle – avec sa mère – et les autres sont morts, et lui meurt aussi. Deux sommeils ouvrent et referment la pièce. De cette naissance à ces morts, c’est un calvaire qui ne s’illumine qu’à l’ultime réplique. Elle dit l’indicible, la vérité incestueuse, clef de voûte du drame, contradiction fatale, jetant malgré tout dans le regard de Gennaro le feu jusque-là incompréhensible de l’amour maternel, soit la goutte de lait venant éclairer ces ténèbres. Et c’est l’humanité qui est sauvée, rachetée.

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  • Photo © Christophe Raynaud de Lage
Article publié le 10 janvier 2024
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